Lectures performances

Dans la forêt sauvage

(au cœur de la ville)

Une micro-forêt sauvage naît au cœur de la ville. Dans les temps anciens, nous bâtissions des murs autour de la ville pour nous séparer du monde opaque et imaginaire de la forêt. Aujourd’hui, nous plantons des micro-forêt sauvages au cœur de la ville pour nous prémunir du changement climatique et faire revenir la biodiversité.

La lecture performance invite à s’arrêter, regarder, sentir et ressentir autrement cette petite forêt « primaire » laissée à ses habitants non humains. Que l’on soit debout ou tapis dans l’ombre, la vie et les surgissements silencieux que l’on voit, touche et ressent tissent notre langage.

Dans ce texte, se mêlent l’expérience d’une plantation de micro-forêt sauvage à Bruxelles avec celle des empreintes du scolyte typographe dans la forêt primaire et secondaire de Sumava en Tchéquie.

Langage créatif et empathie imaginative s’associent pour voir autrement la micro-forêt primaire au cœur de la ville. L’imaginaire se greffe naturellement à ses jeunes pousses. Dans cette co-construction, la forêt primaire au cœur de la ville devient réelle. Une riveraine dit : J’aime l’odeur. Quand il pleut, ça me rappelle la forêt.

Le 17 juin 2023 –  Parc du Viaduc, Bruxelles
fiEstival MaelstrÖm Revolution

Extrait

Un manuscrit s’écrit à cent vingt mandibules. Un chiot s’accroche à la mamelle, toi le typographe, ta larve conquiert seule son bois tendre. Dès la naissance, une vie indépendante. Petite larve, tu t’échappes du nid. Fugueuse tranquille, tu avales le remblai de ton tunnel.  Tu rampes les yeux clos dans ta rigole les oreilles bouchées. Métamorphose du corps et de son habitacle. Métamorphose rapide et inversée. Toi vers la vie, l’arbre que tu avales, vers la mort.

Ton premier cri se plante dans le bois tendre. Dans ta sensuelle croissance, nourriture à foison, tu t’empiffres tout le long de ton tiret court -, lettres invisibles, tiret moyen −,   lettres invisibles, tiret long −−.  Le cylindre tourne d’un cran puis d’un cran. La mamelle tourne autour de ton petit corps bientôt cylindrique. Tu traces ta ligne continue à coups de tirets sans te soucier des autres lignes. Le tapuscrit s’écrit à cent vingt mandibules. Si l’ichneumon pique, ta droite s’arrête. Quand le pic frappe, ta phrase s’interrompt. Mais les scolytes typographes forment une tribu foisonnante. Les lignes droites de tes frères et sœurs coupent les veines. La sève de l’arbre bloquée s’arrête. S’assèche. Une plaque d’écorce craquèle, tombe au sol. Ta maison se meurt.

D’un coup de levier de retour, ta vie entraîne la mort incandescente. Soudain, les épines de ton arbre rougissent. Bientôt, ce feu s’étend à toute la forêt. Les humains versent les larmes des épicéas.

Leurs arbres, croyaient-ils.

– C’est un désastre !

– Pourquoi ?

– Cette forêt se meurt !

– Ta maison se meurt.

Vlad s’agenouille. Il sourit. De sa main, il caresse au sol une jeune pousse. L’essence venue d’ailleurs, comme lui. Invisible à hauteur du champ de quilles.

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