Lectures performances

Prière de traverser

Performance aquapoétique pour des temps extrêmes

Embarcation littéraire qui imagine, en équilibre sur l’eau, la précarité des êtres vivants. En pleine extinction et urgence climatique, la barque, telle une arche, symbolise notre condition et accueille les craintes. Dans ce contexte lacustre, entre sentiment de liberté et contraintes naturelles, entre frisson de panique et confiance, nous rendons aussi hommage à l’eau venue des montagnes.

En prise directe avec la vie aquatique et montagneuse du lac d’Estaing, ce texte s’immerge dans la vie animale, végétale, humaine et minérale de ce lieu. Il s’intéresse à leurs relations et à leurs conditions d’existence à l’heure de la sixième extinction.

L’expérience de traversée dans une barque renvoie à la symbolique de l’arche. L’arche rappelle la terre où s’exercent nos libertés et nos contraintes. Le rameur est un bouquetin doté de belles cornes. A travers ce rituel de traversée qu’il initie, l’animal guide l’humain dans une vie nouvelle.

Le texte s’inspire de récits et d’expériences du lieu, personnelles ou venues de ceux qui en prennent soin au jour le jour. Pour cela, j’ai discuté, en cours d’écriture, avec Fanny, garde du parc national des Pyrénées sur le secteur du Val d’Azun.

Le texte a été créé pour être lu à voix haute au lac d’Estaing. L’idée de la performance est de plonger le public au plus près de l’expérience aquapoétique. Il s’assoit au bord de l’eau. Le musicien s’installe avec le public. Dans le silence, il entame un petit morceau de flute. A la fin du morceau, je rejoins lentement le groupe. Le rameur maintient une barque à petite profondeur.

Extrait

Petit lac, tu te combles. Du pic, le gave ramène à toi des herbes, des aiguilles et des feuilles, jour après jour. Mais dans la pluie de décembre, l’avalanche lourde charrie tout à son passage. Elle  arrache les rochers, la neige emporte la moindre pousse, le plus petit caillou, les vies fragiles ou solides. Chez toi, petit lac, l’avalanche vomit le chaos.                                            

Tes jumelles s’alourdissent dans tes doigts. Le couple n’apparaît pas. Tu remues les pourquoi. Que s’est-il passé ? Un hélicoptère ? Un drone ? Quoi d’autre ? Le gypaète est sensible, il ne faut pas le déranger, sinon il part. Tant que le jeune ne s’est pas envolé, rien n’est gagné.

L’heure est passée : il y a échec.

Quand tu aimes, il faut partir.

Ton arche se vide de ses bêtes. Une façon de vivre disparaît, une personnalité se perd, une allure s’oublie. Un fil se détache du tissage. Des trous apparaissent dans notre existence tissée.

Le bouquetin change doucement l’orientation de la barque. Il vire de bord.  Son chant s’amplifie dans son achèvement.

Tu écoutes, tu comprends. L’animal t’invite à une nouvelle alliance. Une alliance entre toi, lui, sa descendance et tous les êtres vivants.

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